[Article Reporterre.net] Les salles d'escalade sont aussi polluées que les bords d'une autoroute

Plus de 2 millions de Français pratiquent l’escalade. Ils s’imaginent sûrement, lorsqu’ils enfilent leurs chaussons, qu’ils s’apprêtent à renforcer leurs muscles, gagner en endurance et vider leur esprit. Sûrement moins qu’ils sont sur le point d’inhaler des produits chimiques utilisés pour fabriquer les pneus de voiture, à des concentrations parfois supérieures à celle enregistrées sur le bas-côté des routes les plus fréquentées. C’est pourtant ce qu’indiquent les résultats d’une étude scientifique publiée le 29 avril dans la revue étasunienne ACS ES&T Air.

L’équipe de chercheurs a étudié la qualité de l’air de cinq salles autrichiennes d’escalade à l’aide d’appareils sophistiqués imitant le système respiratoire humain. Ces premiers relevés ont été complétés par l’analyse de poussières collectées sur le sol et sur les prises de quatre salles d’escalade supplémentaires, en France, en Suisse et en Espagne.

Les scientifiques ont également analysé la composition de trente semelles de chaussons d’escalade, représentatifs des modèles et des marques les plus utilisées dans le monde de la grimpe. En se désintégrant lentement à force d’être frottées contre les prises, elles dégagent des additifs dérivés du caoutchouc (RDCs), qui s’accumulent dans l’air et les poussières.

« Est-ce que j’irais grimper à côté d’une autoroute ? Probablement pas »

Les chercheurs ont identifié des concentrations très élevées de ces composés chimiques — qui répondent aux doux noms d’aniline, de diphénylguanidine ou de benzothiazole, pour n’en citer que quelques-uns — utilisés par les industriels pour rendre le caoutchouc plus souple, adhérent et résistant. Ils sont utilisés dans le processus de fabrication des pneus, ainsi que dans la confection des semelles de chaussons d’escalade, des produits de « haute performance » auxquels ils confèrent leurs qualités sportives.

Aux heures de pointe, dans les salles peu ventilées, la concentration en RDCs dans l’air atteint des niveaux comparables à ceux enregistrés à proximité des routes de mégapoles comme Hong-Kong et Pékin, signale à Reporterre l’un des auteurs de cette étude, le professeur de géosciences de l’environnement à l’université de Vienne, Thilo Hofmann. « Nous avons été très surpris, confie celui qui pratique lui-même l’escalade. Quand on va grimper, on veut faire quelque chose de positif pour notre santé et on s’attend à le faire dans un environnement sain. Est-ce que j’irais grimper à côté d’une autoroute à six voies ? Probablement pas. »

Des effets encore méconnus

Dans le détail, la concentration en particules de RDCs susceptibles de se déposer dans les voies respiratoires supérieures comme le nez ou la gorge, puis d’être avalées (c’est-à-dire les particules dont le diamètre est supérieur à 6,4 micromètres) peut monter jusqu’à 28,4 nanogrammes par mètre cube d’air (ng/m³) dans les salles d’escalade ; la concentration en particules de RDCs plus fines — donc capables d’atteindre les alvéoles pulmonaires — peut quant à elle atteindre jusqu’à 7,81 ng/m³. On retrouve jusqu’à 55 microgrammes de RDCs par gramme de poussière.

L’équipe de chercheurs a découvert des polluants utilisés dans les pneus de voiture dans chacune des trente paires de chaussons qu’ils ont testées. Parmi les quinze additifs identifiés, on trouve le 6PPD. Lorsqu’il est mis en contact avec de l’ozone — que l’on retrouve naturellement, quoiqu’à faible concentration, dans les salles d’escalade — ce stabilisateur de caoutchouc peut produire du 6PPD-quinone, une molécule dont la dissémination dans l’eau a provoqué des hécatombes de saumons argentés aux États-Unis. Cette substance fait partie de celles retrouvées dans l’air et la poussière des salles d’escalade étudiées.

Les fabricants de chaussons d’escalade ne produisent pas le caoutchouc et sont donc dépendants d’un marché dominé par l’industrie du pneu. Pexels / CC / Pavel Danilyuk

Quels sont les effets de l’exposition à ces substances sur la santé humaine ? « Pour être tout à fait honnête, nous ne le savons pas », dit Thilo Hofmann. La communauté scientifique n’a commencé à se pencher sur les additifs dérivés du caoutchouc qu’il y a cinq ans environ, poursuit-il. Des études ont montré que certains additifs pour pneus pouvaient provoquer l’inflammation des cellules pulmonaires et endommager leur ADN, mais les tests n’ont jusqu’à présent été menés qu’in vitro.

« Ce n’est pas un bon environnement pour les enfants »

Thilo Hofmann estime qu’il faudra encore attendre un ou deux ans avant de bien connaître l’effet de ces substances. « Ce que je peux dire pour l’instant, c’est que les produits chimiques utilisés dans les pneus ne sont pas inoffensifs. Ce sont des produits chimiques préoccupants », assure le chercheur, qui recommande de recourir au « principe de précaution ».

Afin de limiter les risques, Thilo Hofmann presse les gérants des salles d’escalade d’améliorer le nettoyage et la ventilation de leurs locaux, pour la sécurité de leurs employés et de leurs clients. Il conseille d’éviter les heures de pointe et de grimper davantage à l’extérieur. Les parents devraient s’abstenir d’emmener leurs jeunes enfants assister à leurs séances de grimpe : « Ce n’est pas un bon environnement pour eux. »

La magnésie, autre substance nocive

D’autant qu’en plus des particules de RDCs, l’air des salles est vicié par celles de magnésie, une substance blanche dont les grimpeurs enduisent leurs mains pour mieux agripper les prises, et qui peut irriter les voies respiratoires.

Les fabricants de chaussons d’escalade devraient également être mis face à leurs responsabilités et garantir l’innocuité de leurs produits. Au cours de leurs recherches, les auteurs de cette étude ont découvert que certains chaussons contenaient jusqu’à 1 000 fois moins de RDCs que d’autres, confirmant qu’il est possible de fabriquer des équipements moins polluants. « Mais ce ne sont pas les fabricants de chaussons qui produisent le caoutchouc, observe Thilo Hofmann. Dans de nombreux cas, ils l’achètent sur le marché du caoutchouc, qui est dominé par l’industrie du pneu. »

Aucune réglementation ne s’applique aujourd’hui aux chaussons d’escalade et à leur cocktail de composants chimiques indésirables. Faut-il pour autant les laisser au placard ? L’autrice principale de cette étude, Anya Sherman, fervente grimpeuse elle aussi, dit ne pas s’y résoudre : « Je vais continuer à grimper, écrit-elle. Et je suis convaincue que nos recherches contribueront à améliorer les conditions dans les salles d’escalade. »

 

Parution : 02/05/2025

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