Un maire peut-il interdire la pratique de l’escalade en site naturel ? Par Maïté Cano, Avocate

Depuis l’annonce du « déconventionnement » des sites naturels d’escalade par la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) en mars 2020, les Maires de certaines communes ont annoncé des arrêtés restreignant l’accès à certaines falaises situées sur leur territoire.
Ces arrêtés de police sont-ils légaux ? Peuvent-ils être contestés ?

 
 

Il sera brièvement rappelé que la FFME, qui avait depuis plusieurs années, conclu des conventions d’usage organisant le transfert de la garde des sites avec des propriétaires publics et privés, a pris la décision, en mars 2020, de résilier ces conventions, à la suite d’un accident ayant conduit l’assureur de la FFME à verser une indemnisation conséquente aux deux victimes (voir précédent article Déconventionnement des sites naturels d’escalade : quels enjeux pour les collectivités territoriales ?).

La résiliation de ces conventions d’usage, également appelée « déconventionnement », autorise-t-elle les Maires dans le cadre de leur pouvoir de police à réglementer voire à interdire la pratique de l’escalade sur certains sites ?

Il a, en effet, été constaté, depuis l’annonce du « déconventionnement », que certaines collectivités ont annoncé ou pris des arrêtés limitant l’accès aux falaises.

Si la pratique d’une activité sportive peut-être réglementée par un arrêté municipal dans le cadre fixé par la jurisprudence administrative (I), cet arrêté peut être contesté devant le tribunal administratif et annulé s’il est illégal (II).

I. Un Maire peut prendre un arrêté de police réglementant une activité sportive.

Il convient de préciser au préalable que le Maire d’une commune dispose d’un pouvoir de police administrative qui a pour finalité d’assurer la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique sur le territoire de sa commune.

Ce pouvoir de police se distingue du pouvoir de police judiciaire, de nature répressive, qui a pour objet de constater et de réprimer les infractions.

Le Maire dispose de ce pouvoir de police administrative, en application de l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales, et il ne peut pas en déléguer l’exercice au conseil municipal.

A défaut, l’arrêté sera illégal (voir par exemple sur un arrêté d’interdiction de la pratique du sport en eau vive pris par le conseil municipal [1]).

Ainsi, le Maire a le pouvoir de réglementer, voire d’interdire la pratique d’une activité sportive sur le territoire de sa commune par le biais d’une mesure de police administrative.

Par exemple, il en va notamment ainsi lorsque :

  • pour des raisons de sécurité, le Maire interdit la pratique de la luge sur certains secteurs de la station de ski [2] ;
  • des restrictions de circulation des véhicules à moteur sont imposées et « justifiées par la vocation de parcours de randonnée pédestre, équestre et cycliste qu’ont ces voies et les dangers qu’y font courir aux piétons les véhicules à moteur lorsqu’ils les utilisent » [3].

Dans le cadre de ses pouvoirs de police, le Maire est également tenu de signaler les dangers d’un site ou d’une activité, afin d’en prévenir les risques. A défaut, sa responsabilité peut être engagée pour manquement à l’exercice de ses pouvoirs de police.

Une commune a ainsi été condamnée à indemniser la victime d’un accident sur un site d’escalade, non pas en raison de la chute d’un rocher sur une « partie du secteur non spécialement aménagé par la Commune pour pratiquer l’initiation à l’escalade », mais en raison d’un manquement à ses obligations en matière de police municipale pour n’avoir pas signalé « les dangers présentés par la falaise située à proximité immédiate de l’école d’escalade » [4].

Ces arrêtés doivent néanmoins respecter les conditions suivantes :

  • La mesure de police doit être motivée et comporter les motifs de fait et de droit justifiant cette restriction à la pratique d’une activité sportive ;
  • La mesure ne doit être ni générale, ni absolue. Elle doit être limitée dans le temps et dans l’espace ;
  • Elle doit être nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi, elle ne doit pas porter atteinte de manière disproportionnée à une liberté.

Ces conditions ont été posées par un arrêt de principe du Conseil d’Etat en 1933 à propos de l’interdiction d’une réunion publique qui menaçait l’ordre public :

« s’il incombe au maire de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion » [5].

S’agissant des sports de nature, ont par exemple été considérés comme illégaux par le juge administratif :

  • Un arrêté municipal interdisant la pratique de l’escalade et du base jump toute l’année et sur tout le territoire d’une Commune (CAA Marseille, 6 décembre 2004, n°01MA00902 « l’interdiction de la pratique de l’escalade toute l’année, sur l’ensemble du domaine privé communal - lequel n’est d’ailleurs pas délimité de façon précise - présente un caractère général et absolu qui excède les besoins de la conciliation nécessaire à opérer entre le respect de la liberté individuelle et les contraintes d’intérêt général ; que, par suite, l’arrêté municipal N° 68 du 31 juillet 2000 est entaché d’illégalité et doit être annulé »).
  • Un arrêté municipal interdisant la pratique de l’escalade et du canyoning sur une partie du territoire de la commune pour des motifs tenant à la dangerosité d’accès et à la dégradation des sites (CAA Marseille, 4 juillet 2005, n°03MA00612 « l’arrêté contesté imposait une interdiction permanente de caractère général et absolu, en tout état de cause disproportionnée par rapport aux buts poursuivis, et dont la nécessité, tant en ce qui concerne la dégradation des sites que la dangerosité d’accès n’est aucunement établie »).

Si un arrêté restreignant la pratique d’une activité sportive en milieu naturel ne respecte pas ces conditions, il peut être contesté devant le juge administratif et encourt l’annulation.

II. L’arrêté d’interdiction peut être contesté devant le tribunal administratif.

Le juge administratif est seul compétent pour statuer sur la légalité d’une mesure de police administrative.

Il exerce un contrôle de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure de police aux faits qui ont motivé son édiction, et vérifie que la mesure n’est ni générale, ni absolue et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à une liberté.

Le juge administratif veille ainsi à la conciliation entre l’impératif de sécurité et l’exercice des libertés, et apprécie si les restrictions ou interdictions apportées ne sont pas excessives au regard des exigences de sécurité poursuivies par l’arrêté municipal.

Pour ce faire, il examine concrètement les motifs ayant conduit le Maire à prendre une telle mesure.

Et le juge n’hésite pas à annuler un arrêté de police s’il considère que l’interdiction de la pratique sportive n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis et que le risque pour la sécurité n’est pas établi [6].

En l’état, et sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, il est peu probable que le seul constat du « déconventionnement » d’une falaise ou d’une responsabilité de la collectivité en qualité de gardien de la chose suffise à justifier l’interdiction de la pratique de l’escalade sur un site naturel.

En tout état de cause, l’arrêté devrait justifier du caractère nécessaire et proportionné de la mesure prise au regard de l’objectif poursuivi.

En pratique, un arrêté de police peut être contesté :

  • Dans un délai de recours est de deux mois à compter de sa publication ou de sa notification ;
  • Par une requête en excès de pouvoir motivée demandant l’annulation de l’arrêté municipal ;
  • Devant le tribunal administratif compétent (la compétence dépend du lieu sur lequel l’arrêté a été pris).

Pour autant, au-delà du droit, si l’interdiction d’une pratique sportive peut se présenter pour l’exécutif local comme une solution de facilité, elle est susceptible d’affecter non seulement les pratiquants individuels, mais également les pratiquants associatifs et les scolaires. Dans ce contexte, une concertation préalable avec tous les acteurs locaux peut s’avérer fructueuse et préférable à plusieurs mois de contentieux.

Cela d’autant que la responsabilité sans faute du gardien de l’espace naturel a été atténuée par la création de l’article L311-1- 1 du Code du sport, créé par la loi n°2022-217 du 21 février 2022 :

« Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant, sur le fondement du premier alinéa de l’article 1242 du Code civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée ».

En cas d’accident, la victime devra démontrer que le risque, auquel elle a été exposée et à l’origine de son préjudice, n’était ni inhérent à la pratique sportive considérée, ni normal, ni raisonnablement prévisible.

Maïté Cano
Avocat au Barreau de Paris - Médiateur

 

Parution : 02/01/2023

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