(P)osons l'idéal, par Julien Chaussidon

Complément d'explication à la publication des recommandations déontologiques du SNAPEC (automne 2020)

On entend par idéal un modèle viable économiquement pour les moniteurs (car oui, c’est viable à 8 clients), de qualité optimale et pérenne aussi bien au niveau de l’accès aux sites que de l’environnement. Nous comprenons que certains puissent craindre qu’en cas de litige, un juge mette en défaut un moniteur sur la base de ces recommandations. Pour les cas les plus extrêmes, la question ne se pose même pas : de toute façon ils sont déjà tellement au-dessus des habitudes locales, que même sans recommandations, c’est sûr qu’ils se feront allumer en cas de problème. Pour les autres, dans la mesure où l’effectif choisi reste proche des us et coutumes, le risque est marginal car :

- Au risque de se répéter, et quoique certains veulent faire croire en agitant comme d’habitude le chiffon de la peur par un discours réactionnaire et démagogique pour parvenir à leurs fins, la gestion de la sécurité n’est qu’un élément parmi d’autres dans nos recommandations (avec les questions d’environnement, accès aux sites, qualité relationnelle/pédagogique). C’est bien l’ensemble de ces éléments qui ont conduit à cette proposition d’effectif et de rythme de travail. Aussi il serait bien de ne pas leur attribuer une connotation exagérément sécuritaire, puisque cela est précisé sur la page-même. 

- Ce texte émane d’un syndicat parmi d’autres, il n’a donc pas la force d’un texte de loi ou même de recommandations qui feraient l’unanimité dans le milieu professionnel. (mais soyons clairs, nous travaillons à tendre vers l’expression d’un idéal partagé par une large majorité de la profession).

- La FFME fait aussi des recommandations d’effectif depuis des années, et cela n’a l’air d’émouvoir personne (recommandations de 5-6 cordées de débutants maximum, visiblement certains clubs s’asseyent dessus sans cas de conscience). Il en va de même pour les us et coutumes locaux des guides qui sont parfois très restrictifs.

- Enfin, sur le plan assurantiel, contrairement à ce que nous avons pu lire ailleurs, bien sûr que le fait d’évoquer publiquement la gestion de la sécurité dans nos métiers a un effet sérénisant pour les assureurs, dans la mesure où cela montre qu’un syndicat se bouge sur de la prévention visant à réduire la sinistralité de ses adhérents souscripteurs.

Par ailleurs, les rejets exprimés semblent parfois venir des craintes de mettre au grand jour des pratiques que le moniteur sait déjà limites. Sur ce point, l’avis du syndicat est sans appel : nous souhaitons avant tout mettre en valeur les comportements vertueux. Libre à chacun de tendre vers ce modèle ou d’assumer en toute indépendance la manière dont il travaille, puisqu’il se revendique et reste indépendant.

D’autre part, nous ne croyons pas que notre profession, quand bien même largement composée de personnes qui se réclament indépendantes, puisse s’autoréguler par des choix et des comportements individuels. Dans un contexte de travail sous tension qui se généralise, qu’un moniteur soit libre de choisir le nombre maximum de personnes apparaît comme une impasse égoïste, car son choix a un impact sur la manière de travailler des autres professionnels, sur les relations de terrain, sur l’environnement, et donc sur l’ensemble de la profession. Bref la liberté de choisir son effectif peut s’entendre, dans la limite où elle n’a pas d’impact sur les autres. Et s’il est concevable qu’un des plaisirs de “l’indépendant“ puisse être de déterminer du haut de son expertise la taille de son groupe, nous espérons que ce plaisir reste complètement anecdotique devant l’ambition d’assurer une prestation de qualité, d’avoir un rapport humain avec ses clients (ce qui commence par a minima connaître leurs prénoms), ou encore d’entrevoir ce privilège d’avoir pour bureau des sites de pratiques grandioses, et qu’il ne s’agit pas juste d’un challenge personnel de sortir avec un groupe King Size ou de faire rentrer toujours davantage d’argent dans la caisse. Que ce soit clair, il n’y a pas de problème avec le fait de gagner de l’argent : nous sommes tous professionnels. Mais l’argument économique ne doit pas conduire à mépriser ou ignorer les autres enjeux de notre métier. Une fois de plus, nous ne tenons pas à encourager ou cautionner une McDonaldisation de notre profession, ni pour son image, ni pour les sites de pratiques, ni pour les clients, ni pour les pros eux-mêmes.

Sur le volet de la concertation, nous sommes en contact régulier avec les organisations locales : le SNAPEC s’appuie sur un large réseau de représentants et de groupements locaux intersyndicaux. Nous avons connaissance des travaux de concertation et d’organisations locales, et nous avons d’ailleurs eu une réunion le 9 novembre 2020 avec nos adhérents et ces représentants pour échanger sur les habitudes et dispositifs se mettant en place aux 4 coins de la France. Bien sûr que ces organisations locales ont une forte légitimité, de part la connaissance précise de leurs terrains d’exercice, elles restent les principales garantes des us et coutumes. A titre d’information, lors de l’accident de l’Infernet cet été, le PGHM a appelé le bureau des guides et accompagnateurs de Grenoble pour connaître les us et coutumes d’effectif dans ce canyon. Il ne s’est aucunement tourné vers un quelconque syndicat pour cela. Les habitudes locales de travail sont prépondérantes, et nous sommes convaincus que ces groupements l’ont très bien compris : le syndicat pose un idéal, les pros s’organisent au mieux sur place.

Concernant la gestion de l’affluence, nous pensons par ailleurs qu’il faut se détacher de cette injonction à “prendre le client” coûte que coûte. Savoir dire “non” lorsque la situation l’impose est une des caractéristiques fortes de notre métier, et cela commence au téléphone ou au bureau. Dans la mesure où nous travaillons dans un espace fini et partagé, la gestion de la fréquentation, dont notre activité professionnelle est souvent le principal responsable, doit être considérée comme une priorité. Nous sommes venus vers ces activités pour le milieu naturel, nous vendons nos prestations sur le dos de ce milieu naturel, et nous contribuons à lui donner des allures de métro bondé ?

Si localement des organisations entre pros et autres usagers ou propriétaires se concrétisent et permettent l’élaboration d’un cadre de pratiques apaisées, ce n’est pas le cas partout. Parfois l’instabilité récurrente d’une année sur l’autre de certains choix d’essai d’organisation locale doit questionner la pertinence de ces choix, au risque d’installer une situation délétère pouvant aboutir à l’interdiction pure et simple de certains sites. Refusons de nous comporter en criquets migrateurs, il n’est pas question d’entretenir des démarches qui consistent à “se gaver pendant qu’il est encore temps” en faisant fi de notre environnement humain et naturel. Dans nos relations aux autres, il n’est pas honteux ou faible de faire un vrai pas en avant vers une solution stable, notamment sur la question de la fréquentation, plutôt que de traîner les pieds, entretenant parfois des situations conflictuelles dont nous sortirons à terme certainement usés, mais à coup sûr ni vainqueurs ni grandis. Et pour ceux qui pensent qu’une diminution de la taille des groupes n’aura de toute façon pas d’impact sur la fréquentation, voici quelques éléments de réflexion : 

  • Chaque année, indépendamment du flux de pros arrivant ou sortant sur le marché, des bureaux cherchent en vain des moniteurs pour la saison. Il n’y a donc pas suffisamment de moniteurs pour satisfaire la demande à l’échelle du territoire.
  • Cela implique que hors cas particuliers, il n’y a pas de pros disponibles pour plus de groupes sur une journée à nombre de rotations égal.
  • Donc même en réduisant les effectifs, le nombre de groupes à sortir chaque jour sera globalement stable. Bref, en diminuant les effectifs, on diminue bien la fréquentation.

Et quand bien même à la marge quelques groupes supplémentaires trouveraient une place, rappelons que des fonctionnements fluides et malins existent : le covoiturage, les départs décalés, ou coordonnés par un planning par exemple. Certains groupements locaux l’ont déjà mis en place avec succès.

Au sujet de la coordination intersyndicale, et notamment du CPCP, nous vous invitons à lire l’article ci-dessus issu du dernier bulletin du SNPSC : la position du SNAPEC est loin d’être isolée, et cette démarche est belle et bien enclenchée au sein du CPCP. Le SNPSC pose d’ailleurs une réflexion intéressante sur le rôle des très grosses structures dans ces dérives, structures qui ont pour la plupart décliné la réunion sur le sujet organisée le 9 novembre.

Un autre motif de rejet de ces recommandations vient du fait qu’elles sont perçues comme des contraintes. C’est intéressant, parce qu’au contraire, certains moniteurs y trouvent à juste titre une aide, un appui dans le choix de leurs conditions de travail (trop souvent imposées par une boite ou un club, ou juste sous pression de fonctionnements parfois discutables mais préétablis). Et c’est bien dans ce sens qu’elles ont été publiées. Notons que de nombreux professionnels exercent en situation de “pseudo-salariat“ (indépendants travaillant pour un bureau unique sans choix d’horaires, de supports, de clients avec le matériel fourni…) ou de vrais salariés. Il s’agit pour ces moniteurs d’un support de discussion ou de négociation de leurs conditions. Typiquement, en Ile de France, les conditions de travail sont très compliquées, avec une forte pression des salles privées pour blinder des groupes en escalade dans une salle déjà elle-même blindée. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont récemment ressenti le besoin de se regrouper en association, tous diplômes confondus, pour défendre leurs intérêts face aux employeurs. Et qu’un syndicat se positionne sur un idéal de conditions de travail est évidemment un plus dans leur combat.

Aujourd’hui nous sommes très fiers au SNAPEC d’avoir enfin lancé ce premier pavé dans la mare. Nous savions que nous n’allions pas nous faire que des amis, mais nous ne sommes pas dans une course à l’adhérent ou au “like”, nous défendons un idéal. Sur un sujet aussi crucial que tout le monde esquivait savamment depuis des années, cette première pierre, sans doute imparfaite, a forcé le milieu dans son ensemble (syndicats, pros, organismes de formation) à se positionner sur la question, ouvrant ainsi la réflexion collective. On peut reprocher une méthode brutale, mais l’expérience passée montre qu’un excès de concertation pour déclencher la réflexion sur ce sujet était voué à l’échec, et puis il y avait urgence. En ce sens, nous n’enlèverons pas nos recommandations de notre site public.

Aujourd’hui nous réfléchissons à plusieurs choses pour aider les pros qui souhaitent tendre vers cet idéal : modèles économiques et fonctionnements de clubs, modèles d’organisations locales… Ce sont les besoins que nous avons identifiés lors de nos concertations. L’enjeu de l’accessibilité à la nature au plus grand nombre est également un vrai problème, mais ne doit pas se traiter aux dépens des conditions de travail ou du milieu naturel lui-même. Enfin certains parlent aussi de jouer sur le flux de formation, hypothétique source de tous les maux, pour réguler l’affluence. Il est vrai qu’il est souvent plus facile de charger un bouc-émissaire plutôt que de se remettre soi-même en question. Cette régulation est sans doute un élément nécessaire, mais nullement suffisant : quand la baignoire est bouchée et déborde, on peut réduire le débit, elle continuera quand même à déborder… Si on ne fait pas autre chose.

 

(P)osons l'idéal, par Julien Chaussidon