Observatoire des Pratiques de la Montagne et de l'Alpinisme - Compte-rendu des rencontres Acteurs-Chercheurs
Le 7 octobre dernier, les 6èmes Rencontres Acteurs-Chercheurs (RAC) ont réuni une quarantaine de participants
dans la salle du conseil de l’IUGA (Grenoble) ainsi que 7 en visio-conférence. Comme pour les précédentes éditions, la journée a été divisée en deux parties : la matinée consacrée à l’exposé de recherches récentes sur les activités de montagne, et après un buffet offert par la mairie de Grenoble, l’après-midi au cours duquel ont été échangées et discutées les préoccupations des acteurs des pratiques de montagne.
Exposés
Pascal Mao (Pacte, Grenoble) a présenté l’élaboration et les premiers résultats d’une méthode visant à évaluer la fréquentation de la montagne par des pratiquants de diverses activités, au moyen des traces numériques laissées sur les sites spécialisés, sites collaboratifs, etc. S’il reste encore des problèmes à résoudre (représentativité, manque de données sociologiques, but ou de motivation inconnues...), des résultats prometteurs ont été obtenus concernant le canyoning par exemple et seront complétés par des enquêtes ciblées. Ces résultats peuvent intéresser les politiques publiques d’aménagement, d’accessibilité ou de gestion des espaces protégés ou dédiés à l’agriculture ou à la sylviculture.
Victor Andrade (Pacte, Grenoble) s’est intéressé à l’évolution de la fréquentation des refuges en se basant sur le réseau Refuges Sentinelles en place depuis 5 ans et sur des entretiens avec les gardiens. Dans le massif des Ecrins, l’alpinisme apparaît ainsi délaissé (≈ - 40%) au profit de l’escalade et la randonnée, au point que des gardiens équipent eux-mêmes des voies d’escalade pour attirer des grimpeurs. Un pic des nuitées est enregistré dans les années 1980-90, quand les conditions glaciaires étaient stables et donc assez sûres. Des traitements statistiques sont en cours pour les massifs des Écrins, de la Vanoise et du Mont-Blanc afin d’affiner les types d’activités, les sommets visés, les rythmes hebdomadaires, l’influence des médias etc. Ces résultats devraient alimenter les réflexions sur l’avenir des refuges, l’augmentation des bivouacs, ou les attentes des usagers.
Anne-Sophie Crépeau (Edytem, Chambéry) a exploré au moyen d’une enquête en ligne et d’entretiens semi-directifs, les types d’activités et les motivations des pratiquants fréquentant le Vercors et les Bauges, et leur perception du changement climatique. Les activités les plus pratiquées sont dans l’ordre, la randonnée, le VTT, l’escalade et le trail ; les motivations dominantes sont le contact avec la nature, le sentiment de liberté, les préoccupations de santé et l’envie d’aventure. Cette population observe le changement climatique (95%), à travers la sécheresse, la pollution et le développement de nuisibles,
et s’y adaptent en changeant ses horaires, en montant plus haut ou en changeant son équipement. Elle tente de l’atténuer en allant moins loin, en mangeant local, ou en renouvelant moins souvent son matériel.
Clémence Perrin-Malterre (Edytem, Chambéry) a présenté les résultats d’une large étude impliquant des écologues portant sur la fréquentation du Massif des Bauges et son impact sur la faune d’ongulés, objet de la thèse de Léna Gruas. L’enquête a porté sur les adeptes du ski de randonnée, des raquettes, du trail et de la randonnée. Y sont surreprésentés, les hommes (60% en moyenne, 80% pour le ski ou le trail), les Bac +5 (50%) et les CSP+ (50%). La motivation de cette population « éco-responsable » est le contact avec la nature. Du reste, 85-90% des gens sont contents ou émerveillés de rencontrer la faune sauvage, 80% pensent que leur activité peut la déranger, mais seuls 26% pensent la déranger. La conscience de déranger augmente chez les pratiquants d’activités de neige ou chez les vacanciers, mais est plus faible chez les trailers. Les observations montrent pourtant que les animaux couvrent plus de distance et font plus de dénivelées le dimanche (de l’ordre de 20%) que les autres jours. Le constat que les
CSP+ se disent écologistes alors que les non diplômés sont plus sceptiques pointe-t-il vers une fracture sociale des pratiques de la montagne ?
Léa Sallenave (Pacte, Grenoble) a exposé les résultats obtenus en accompagnant des jeunes de « quartiers sensibles » lors de sorties en montagne encadrées, dans le cadre des activités de l’Education populaire. Elle a souligné le poids des stéréotypes, d’une part de la part de ces jeunes qui voient la montagne comme un monde de blancs, riches, « hétéronormés », ce que confortent les images publicitaires, et dans lequel ils sont donc particulièrement visibles, et d’autre part de la part des pratiquants classiques qui perçoivent cette population comme incongrue, bruyante, démonstrative ou revendicative,
ce qui tend à renforcer la distance entre « quartiers » et montagne. Si ces sorties permettent donc de casser une partie des barrières invisibles, l’attitude de beaucoup de pratiquants habituels de la montagne montre que ce milieu n’est pas à l’abri des relations de domination.
Echanges
Les échanges de l’après-midi ont porté sur plusieurs points.
- si certains se demandaient comment amener les jeunes à la montagne, d’autres ont fait remarquer que beaucoup de jeunes allaient en montagne, mais sous des formes et pour des activités différentes (trail, bivouac, VTT...).
- Sera-t-il encore possible d’aller en montagne à l’avenir ?, au vu des problèmes des ressources en eau -en particulier des refuges-, de la (sur)fréquentation et de l’explosion des bivouacs qui posent de problèmes sanitaires (toilettes, déchets) et de préservation.
- Ces deux points soulèvent le problème de l’« habitabilité » de la montagne, pour laquelle l’information et la formation semblent insuffisantes, particulièrement à l’égard des néophytes, attirés là par les confinements, l’élévation des températures particulièrement en ville, et pour lesquels la montagne est plus un terrain de jeu qu’un monde à découvrir et apprivoiser. Des « camps de base » sont proposés au départ de sentiers fréquentés pour informer, sensibiliser, expliquer..., ainsi que des navettes sur certains sites sur-fréquentés (Archiane, Les Chapieux ...)
- Les association se heurtent à une « crise du bénévolat », liée à l’augmentation des adhérents, au cumul lord de leur travail et de leur activité bénévole, et aux problèmes juridiques de responsabilité, qui met à mal la gestion de leurs ressources humaines.
Parmi elles, la FFCAM se heurte, de plus, à l’avenir des refuges de montagne : comment, pour quoi, et pour qui rénover ou réaménager ? Comment mieux former et informer les usagers ?
- Comment résoudre ces injonctions contradictoires : faire du sport et se (re)connecter avec la nature sont bons pour la santé, mais pratiquer (trail, randonnée, VTT, ski de randonnée ...) a un impact négatif sur la biodiversité et l’environnement.
- Suite à la décision de la FFME de déconventionner les sites d’escalade naturels dont elle avait la garde, une communauté de grimpeurs s’est formée pour tenter de trouver des solutions. Cette communauté spontanée n’a pas su se construire autour de valeurs communes (sauvegarde du patrimoine « falaise », mutualisation assurancielle du risque...). L’absence de cette communauté peut-elle modifier la pratique de l’escalade ?
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Lea Sallenave (ex-doctorante Pacte) : Lea.Sallenave@unige.ch
Parution : 14/11/2022