INFORMATION IMPORTANTE - Nos diplômes en danger
[Message adressé par le SNAPEC à ses syndiqués en mai 2022]
Cher·es syndiqué·es,
Vous nous avez mandatés pour défendre notre profession et nous nous efforçons d’honorer cette mission tout au long de l’année.
Nous devons aujourd’hui vous alerter au sujet d’une situation susceptible d’avoir un impact important sur le quotidien de notre métier au cours des années à venir.
La FFME et sa vision de notre métier…
Au début de l’année 2022, la FFME (fédération délégataire de l’activité) nous a annoncé son projet de créer un nouveau titre à finalité professionnelle (TFP) "moniteur d'escalade", en partenariat avec le réseau de SAE Climb Up. Nous craignons que ce titre ne vienne massivement dégrader les conditions de travail des titulaires d’un diplôme d’Etat, et qu’il déstabilise donc fortement la filière professionnelle actuelle de l’escalade.
Ce printemps, nous avons pris part aux réunions de travail organisées par la FFME. Celles-ci étaient censées aboutir à une construction collective du titre en matière de contenu de formation et de prérogatives d’encadrement.
La FFME nous a présenté son projet que nous décrirons ainsi :
- très faible niveau d’entrée en formation (autour de 6a ; aucune liste de réalisations requise) ;
- durée de formation limitée à environ 40% du DE entraînement (le DE escalade limité aux sites sportifs), dont à peine une semaine en extérieur ;
- prérogatives : encadrement de tous niveaux et partout en SAE et SNE sites sportifs
Pour résumer : ce futur diplôme offrira en peu de temps les prérogatives du DE entraînement à des personnes ayant une faible culture / pratique de l’activité.
Des revendications légitimes restées lettre morte
Nous avons défendu une position ferme et similaire à celle des autres syndicats présents aux réunions :
- pousser pour un niveau minimal en escalade pour entrer en formation
> pour encadrer en sécurité, intervenir ou simplement installer les cordes en extérieur, un moniteur doit avoir une nette marge dans le niveau pratiqué ; qui plus est, le niveau d'une personne atteste de l'assiduité de sa pratique et de son expérience, laquelle est nécessaire pour asseoir les bases d'une formation, d'autant plus si celle-ci est très courte ; - limiter l’effectif des groupes d’élèves encadrés par les futurs titulaires
> un encadrant peu qualifié ne peut superviser un grand nombre de cordées ; - empêcher l’encadrement en site naturel
> la spécificité du milieu nécessite un contenu de formation conséquent, pour lequel le DE Escalade en milieux naturels fournit le profil minimal
Au terme de ces réunions, notre constat est consternant et sans appel. Aucune de nos revendications n’est retenue par la FFME. Les consultations n’ont manifestement été qu’un simulacre visant à donner l’illusion d’une concertation.
L’intention de la FFME est à peine voilée, et prolonge clairement ses objectifs antérieurs. Elle pense notre profession en termes de marché et veut inonder l’encadrement de l’escalade avec des titulaires de pseudo diplômes afin de contourner les contraintes liées aux diplômés d’Etat.
La conséquence sera mécanique : davantage de professionnels moins qualifiés car moins pratiquants et moins formés. Cet afflux entraînera une dégradation qualitative de l’enseignement, et simultanément un effondrement de la valeur des prestations d’encadrement et une précarisation des travailleurs.
Cette politique ultralibérale satisfera les gros employeurs et les clubs peu regardants ou mal informés, mais nuira gravement :
- à l’équilibre actuel de la profession (conditions de travail, niveau de rémunération jusqu’alors négocié),
- à la sécurité des pratiquants encadrés notamment en sites naturels (comment justifier que quelques jours d’encadrement en SNE suffisent quand un DE EMN y passe plus de 10 semaines, sans compter les périodes d’alternance ?),
- aux sites de pratique qui feront face à un accroissement du nombre de groupes encadrés (problématiques d’accès ainsi qu’environnementales).
A l’autre extrême de cette politique, il y a l’exemple de la spéléologie : un seul diplôme d’Etat ; une formation exigeante ; des professionnels aptes à faire valoir leurs exigences en matière de conditions de travail.
Et ce n’est là que le premier volet de l’entreprise de la FFME, dont nous sommes protégés depuis des décennies par l’inclusion du terrain d’aventure (les sites d’escalade non sportifs) dans l’environnement spécifique.
Face à cet obstacle, la FFME dispose d’une arme redoutablement efficace : elle a en charge via ses comités territoriaux la classification des sites naturels, et fixe leurs critères de définition. Basculer un site terrain d’aventure en site sportif revient à le sortir de l’environnement spécifique, permettant donc d’y accéder à tous les encadrants titulaires d’un diplôme autre que le DE Escalade en milieux naturels.
Notre profession est en jeu
Aujourd’hui, la machine est en marche, avec pour le TFP un calendrier de mise en place très court. La FFME entend profiter de l’été pour le faire valider et lancer l’année prochaine les premières sessions de formation.
Ce TFP est validé non par la branche sport, où le SNAPEC est présent via son affiliation à la CGT, mais par une commission dépendant du ministère du travail.
Seule une mobilisation massive des professionnels pourra modifier l’issue de ce scénario.
Parallèlement à ce début de saison estivale, la dizaine de vos collègues bénévoles composant l’équipe du SNAPEC va s’investir dans une large campagne d’information de nos partenaires institutionnels, fédéraux et professionnels.
Nous allons également mener des actions de sensibilisation auprès du grand public, pour lesquelles nous serons amenés à vous solliciter. Nous étudions notamment la piste d’un appel massif à la grève des moniteurs pour la rentrée scolaire.
Mobilisez-vous pour votre métier !
Soyons lucides : le rapport de force nous est clairement défavorable. Le seul moyen d’empêcher la mise en place de ce diplôme est que l’ensemble des professionnel·les se mobilisent.
Pour cela, chacun de nous peut relayer cette information aux personnes concernées et potentiellement influentes. Communiquez autour de vous auprès des pratiquants, acteurs fédéraux et de la formation, monde du sport, monde du travail, presse spécialisée et militante, naturalistes. Nombreux sont nos interlocuteurs touchés de près ou de loin par la question.
Cher·es collègues, ne détournons pas la tête ! Certes ce problème tombe au mauvais moment. Nous avons tous du travail à honorer, mais nous avons l’occasion de mener un combat collectif en participant à la défense d’un métier dont nous sommes fier·es !
En nous investissant tous, nous pouvons remporter cette lutte et contrecarrer la casse sociale qui nous menace.
L’équipe du SNAPEC en lutte pour des jours heureux !
[Détails supplémentaires]
En concevant ce ‘TFP’ (titre à finalité professionnelle), la FFME a souhaité répondre à la demande de ses clubs d’escalade et de certains employeurs privés, confrontés à la difficulté de recruter des encadrants au sein de leurs structures. Ce nouveau diplôme se caractérise ainsi :
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Faible niveau d’exigences techniques pour l’entrée en formation ;
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Court temps de formation pour un faible coût de formation et une rapide employabilité.
Après avoir pris part aux réunions de présentation du contenu de ce projet, nous avons exprimé notre strict désaccord sur de nombreux points. Nous partageons cette opposition avec la quasi totalité des autres syndicats et fédérations représentatives de l’activité.
En voici les raisons principales :
- A ce jour, la filière professionnelle de l’escalade est composée de divers diplômes de niveaux différents :
- un CQP pour l’encadrement en SAE (salles d’escalade) ;
- deux diplômes intermédiaires (CS Escalade et DE Escalade) pour l’encadrement en sites naturels normés, d’une seule longueur de corde ;
- le Diplôme d’Etat Escalade en milieux naturels, permettant d’encadrer sur tous les sites d’escalade (environnement spécifique / sites terrain d’aventure inclus) toutes les disciplines (SAE, bloc, couenne, grande voie, via ferrata, escalade traditionnelle, artificielle, highline, etc.)
L’escalade hors sites classés “sportifs” (c’est-à-dire contrôlés et dotés d’un équipement normé) fait partie de l’environnement spécifique au même titre qu’une série d’activités sportives s’exerçant dans un milieu naturel impliquant le respect de mesures de sécurité particulières.
Seuls les organismes de formation d’Etat (CREPS) sont habilités à dispenser des diplômes permettant d’encadrer des activités s’exerçant en environnement spécifique.
- Depuis près de cinq ans, le SNAPEC prône une refonte partielle de la filière avec la création d’un unique diplôme intermédiaire de niveau 4 (BPJEPS) adapté aux exigences de l’escalade enseignée en site naturel sportif.
La proposition de la FFME est tout autre : elle vise à conférer aux titulaires du futur TFP les mêmes prérogatives que celles du DE Escalade (sites naturels “sportifs”, hors environnement spécifique) pour moins de la moitié de temps de formation (cinq journées de pédagogie en extérieur), et un très faible niveau de pratique préalable (autour de 6b ? ; sans liste de réalisations).
Cette situation nous paraît inacceptable, car contraire à toute pertinence pédagogique et sécuritaire.
Car l’escalade en site naturel, aussi normé en soit l’équipement, a peu à voir avec celle pratiquée dans les salles d’escalade. Le milieu naturel comporte une part d’instabilité et d’imprévisibilité irréductible, nécessitant pour l’appréhender un temps de formation conséquent, qui ne peut être compressé au-delà d’un certain point.
Il est impensable qu’une personne n’ayant aucune expérience préalable de l’activité puisse encadrer des groupes d’élèves en site naturel au terme de quelques journées de pédagogie dispensée en extérieur.
En l’état du projet, nous nous opposons donc à toute force à l’accès aux sites naturels d’escalade pour les titulaires de ce futur titre professionnel.
Cette situation nous paraît également inacceptable car elle opacifie davantage une filière professionnelle rendue peu lisible à mesure de la multiplication des diplômes aux prérogatives superposées qui la composent.
Inacceptable encore car une telle incohérence entre contenu de formation et prérogatives d’encadrement constitue une véritable mise en danger des professionnels insuffisamment formés, ainsi que de leurs élèves sur le terrain. Qui plus est, la dégradation du niveau de compétences des enseignants entraîne également une régression des savoirs chez leurs élèves.
Inacceptable enfin car un tel différentiel de qualité de formation entre des diplômes offrant des prérogatives similaires s’assimile à une tromperie du grand public et une entreprise insidieuse de casse de la profession dans son équilibre actuel.
Comment un employeur ou un élève pourront-ils faire la différence entre ce titre sous qualifié et un diplôme d’Etat conférant pour partie les mêmes prérogatives ? Et comment les titulaires de diplômes dignes de ce nom pourront-ils recueillir le fruit de leurs compétences auprès des employeurs ?
En dégradant les conditions de travail des éducateurs, la FFME s’expose à dégrader mécaniquement la qualité de l’enseignement et donc celle de la pratique de l’activité sur le territoire. Sans enseignants compétents, une discipline décline et sa culture ne se transmet plus.
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Nous prônons donc un temps de formation plus long, alternant des séquences en centre, et des mises en situation pédagogique successives lors de stages de terrain. Et nous prônons un niveau minimal technique et physique nettement plus exigeant que celui annoncé.
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Nous prônons l’exigence d’une expérience de pratique préalable à l’entrée en formation, vérifiable au moyen d’une liste de réalisations, comme c’est le cas pour les diplômes d’Etat actuels.
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Nous prônons une clarification de la filière professionnelle, non éclatée en diplômes et titres de niveau et prérogatives équivalents.
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Nous prônons une filière mise au service des travailleurs et de leurs conditions de travail, c’est-à-dire non précarisante, et propice à l’exercice d’un métier digne et durable.
Les difficultés de recrutement rencontrées par les structures employeuses nous semblent résulter non d’une pénurie de professionnels sur le marché du travail, mais en partie d’une pénurie de conditions de travail dignes et légitimes.
C’est pourquoi nous appelons la FFME à repenser entièrement son projet de formation :
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en s’appuyant sur les partenaires syndicaux, les fédérations et les organismes de formation pour se placer dans une véritable démarche de co-construction d’un diplôme cohérent avec les besoins techniques du métier, ainsi que ceux du monde de l’escalade en matière d’enseignement ;
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en adoptant une méthodologie pertinente, s’appuyant sur une enquête métiers sérieuse et vaste, dont le lancement par le ministère chargé des sports est d’ailleurs imminent, et dont les résultats permettront bientôt de définir précisément les besoins éventuels en termes de formation professionnelle ;
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en accompagnant surtout les postulants au métier de moniteur d’escalade vers l’obtention du diplôme offrant les prérogatives d’encadrement les plus larges, dans l’intérêt des travailleurs, ainsi que celui des élèves.
Nous avons en effet la conviction que des éducateurs sportifs qualifiés, compétents et dotés de conditions de travail satisfaisantes sont indispensables au développement ambitieux et durable d’une activité aussi riche que l’escalade.
Nous appelons donc les pratiquants et sympathisants de l’escalade à relayer notre position, dans le but d’encourager la FFME à défendre et promouvoir l’activité, en choisissant la voie de son développement qualitatif, plutôt que focalisé sur la seule augmentation du nombre de licenciés ou sur la collection de performances en compétition.
Notre activité ne pourra heureusement jamais être réduite à ces critères purement quantitatifs.
Parution : 12/06/2022