discours de Lorraine Delthel (chargée de mission concertation sports de nature / sensibilisation / vie asssociative à la FRAPNA 07) le 16 février 2023 lors d'une rencontre initiée par le département de l'Ardèche

J’aurais pu dans ce temps qui m’est imparti, lister succinctement en 7 minutes les enjeux  environnementaux des milieux rupestres, mais ça ne me semblait pas très pertinent, surtout devant  un public qui je pense est globalement bien informé. 

Comme une journée d’étude c’est aussi une occasion de prendre de la hauteur, je souhaiterais  plutôt profiter de ce temps de parole, pour vous inviter à élargir notre angle d’approche et vous  partager très modestement ma perception, en tant que jeune salariée d’une association de  protection de la nature. 

La première chose que je souhaitais dire, c’est que les problématiques associées à la prise en  compte de l’environnement dans la gestion des sports de nature, ne sont pas caractéristiques, mais  elles peuvent s’étendre largement à l’ensemble des thématiques. Le sport d’une manière générale  est à l’image de notre société, il est soumis à l’excès et à la surconsommation. La préservation de la  biodiversité doit être considérée au même titre que le climat. Elle est urgente, vitale, et doit  recouvrir tous les pans de notre société et l’ensemble des secteurs économiques. Un nouveau  paradigme intégrant cette prise de conscience représente un des plus grands défis de notre siècle et nécessiterait de repenser profondément notre rapport au vivant. 

Ainsi, loin de moi l’idée de jeter la pierre, puisque le problème est global et nous dépasse tous. Le  message que je veux faire passer est donc très général et ne se limite absolument pas au milieu de  l’escalade, sujet d’aujourd’hui, qui sur le plan de la prise en compte de l’environnement est très loin  d’être le mauvais élève. 

L’objectif commun qui nous rassemble ici c’est la recherche d’un équilibre entre tous, entre  différents enjeux notamment économique, sportif et environnemental. C’est une quête ambitieuse,  et tendre vers cet objectif peut mener parfois à de belles réussites. Mais la difficulté reste de  positionner un curseur commun à tous les acteurs, des évolutions en faveur de l’environnement  apparaissant suffisantes pour certains ou insuffisantes pour d’autres, quand à l’inverse certains les  trouveront abusives. Il y aura toujours des insatisfaits, toujours des désaccords et ce n’est pas si  grave car le processus de concertation en lui-même qui nous réunit est incontournable. 

Mais la question que je me pose est la suivante : comment parvenir à un parfait équilibre alors  même que tous ces enjeux ne peuvent selon moi pas être appréhendés à la même échelle. 

Lorsque l’on se concerte autour de la gestion des sports de nature, on évalue au même niveau,  l’enjeu de préservation de la biodiversité et la valorisation du sport. C’est tout à fait compréhensible, puisqu’à notre échelle, ici sur notre territoire ardéchois, les activités de pleine nature ont des  retombées positives considérables, que ce soit sur le plan social, économique et sportif. C’est notre  identité et les bénéfices sont concrets et largement visibles.  

La biodiversité est quant à elle plus discrète. Elle disparaît sans bruit et il est très difficile d’évaluer  les retombées directes sur un territoire lorsque l’on met en place des mesures de protection,  puisqu’il s’agit de réseaux complexes, interconnectés avec de multiples variables. 

Mais si on se pose maintenant la même question à l’échelle mondiale. Peut-on appréhender de la  même manière la préservation de la biodiversité dont dépend entièrement notre survie et la  valorisation d’un sport ?  

Personnellement je trouve le pari risqué. 

En d’autres termes, il ne fait pas de doute que le bien-être des adeptes de sports de nature suppose que leur activité puisse se dérouler dans un environnement favorable et propice à leur pratique. Ils  peuvent donc, de toute évidence, trouver un intérêt considérable dans le maintien de conditions 

favorables, la Nature, telle qu’on l’appelle, étant la raison d’être de ces sports. Ils ont besoin d’elle,  ils en sont les utilisateurs. La réciproque est bien moins évidente. 

L’environnement est devenu un objet de droit à part entière. Les outils normatifs visant à intégrer la  protection de l’environnement dans le sport se diversifient, allant de la contrainte aux démarches  plus souples et volontaires. Seulement l’approche volontaire, qui est de loin la plus souhaitable,  demande une responsabilisation, pour que ces outils soient intégrés de façon systématique et pour  garantir une vraie conciliation des enjeux. Même si des transformations positives vont déjà en ce  sens, il reste encore du chemin pour parvenir à une participation volontaire, où les espaces naturels  pourraient être totalement ouverts, fréquentés pour différents usages, mais dans lesquels on  trouverait cet équilibre qui ne met pas en danger les espèces qui y vivent. 

Il y a des statistiques que je trouve assez intéressantes qui ont été réalisées par Léna Gruas pour sa  thèse « côtoyer les sommets, coexister avec l’animal sauvage » qui était invitée au séminaire du  CREPS en mai dernier : si la très grande majorité des pratiquants a conscience que le sport en milieu naturel peut impacter la faune, à peine un quart pensent avoir personnellement dérangé un animal, et plus que 0,9% pensent l’avoir beaucoup dérangé. Je trouve que cela illustre bien la problématique de la responsabilisation, avec la différence très importante entre l’impact que l’on sait possible et  celui que l’on pense personnellement avoir provoqué.  

La nature n’appartient à personne et doit rester accessible à tous, en découle les notions  fondamentales de liberté, d’égalité d’utilisation mais aussi de gratuité. Mais son usage ne peut toutefois pas entraver l’ensemble de la société, du bénéfice des équilibres écologiques. En théorie,  tout le monde est d’accord avec ce constat, mais en pratique, cela pose de multiples questions sur  l’équilibre à trouver. L’avenir est donc bien dans cette approche éthique, où la protection de  l’environnement se fait dans le partage d’une vraie préoccupation d’intérêt général. 

La prise en compte de l’environnement dans la gestion des sports de nature est donc encore en  construction. Elle bénéficie de cette reconnaissance légale au niveau départemental, avec la  politique de gestion « maîtrisée » des sports de nature, mais elle ne précise pas comment  l’environnement doit être pris en compte. Alors en nouant le dialogue, par la mutualisation des  connaissances et le travail collectif, la concertation nous offre la possibilité d’adopter une posture  plus réflexive et constructive. Mais l’intégration des enjeux environnementaux reposant aussi sur le  facteur humain, elle dépend en partie de la volonté des acteurs du territoire à travailler en ce sens.  

Les enjeux face à nous, nous imposent à tous de bousculer nos manières de voir le monde, nos  modes de vies et notre rapport au vivant. 

Le changement climatique, les transformations profondes engendrées par l'occupation de l'espace  par l’Homme, le risque d’émergence des maladies infectieuses telles que la COVID 19, nous  plongent dans une situation totalement nouvelle, en rupture avec celle du passé. Face à un tel  constat, l'évaluation et la décision ne peuvent plus être limitées à l'analyse au cas par cas des  conséquences locales. L’approche systémique, cumulé au développement des moyens de traitement de l'information, débouchent sur de nouvelles perspectives pour appréhender les problématiques  modernes. Et c’est bien de perspectives nouvelles dont nous avons besoin. Si vous souhaitez  approfondir le sujet de l’approche systémique, la Frapna organisera le 25 mai à la salle de la Neuve à Lyas, une journée sur ce thème en partenariat avec l’ARS avec un focus sur l’émergence des  maladies infectieuses. ( Si certains ne voient pas encore le lien entre préservation de la biodiversité  et émergence des maladies infectieuses, je vous invite d’autant plus à venir à cette journée.)

Je conclurai par une citation d’Émile Durkheim qui disait : « Il n’y a pas de possibilité de vivre  ensemble, sans culture commune et sans imaginaire commun. » 

C’est peut-être pour ça que nous sommes là dans cette salle, pour construire notre imaginaire  commun. En tout cas je le souhaite. 

Merci de votre attention