Débat autour de la fermeture d'une partie du site d'escalade du cirque de Gens (Chauzon, Ardèche)
A> Compte-rendu de la réunion en mairie de Chauzon actant l'interdition et le déséquipement d'une partie du cirque de Gens
B> Appel à manifester des grimpeurs locaux
Chère grimpeuse, cher grimpeur,
Les falaises du Cirque de Gens, sur la commune de Chauzon, ont fait, ces dernières années, l'objet d'études pour leur intérêt faunistique, plus particulièrement pour leur potentiel d'accueil de l'Aigle de Bonelli (rapace le plus rare de France, déjà présent sur trois sites en Sud Ardèche).
Cette étude, initiée et menée par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), a montré que les secteurs d'escalade Enola Gay et Dévers seraient propices à l'installation du rapace.
Aussi, récemment, la Mairie de Chauzon a décidé d'interdire la pratique de l'escalade et souhaite procéder au déséquipement des secteurs Enola Gay et Dévers.
Cette décision vient fermer la porte à toute discussion en vue d'une gestion raisonnée de ce site naturel de pratique (escalade et randonnée principalement), habituellement gérée via les Commissions Départementales des Espaces Sites et Itinéraires. Par ailleurs, elle peut servir d'exemple (jurisprudence) à d'autres situations similaires au vu du nouvel article de loi qui sera mobilisé pour prendre l'arrêté (L360-1 du code de l'environnement)...
Chers partenaires grimpeurs, nous vous invitons donc à vous joindre à nous ce dimanche 11 décembre à 10h devant la Mairie (ici !) pour une matinée de manifestation à la mairie de Chauzon, le but principal étant de passer les messages suivants à travers les médias présents :
- nous tenons à être entendus dans les démarches de prises de décision sur l'avenir de ce site d'escalade historique et emblématique en Ardèche (équipement à partir de 1980 par Jean Mathieu et Robert Courbis, toujours présents sur la falaise ; premier championnat de France en falaise à Chauzon en 1988, avec la visite du ministre des Sports de l'époque ; ...) ;
- les grimpeurs sont sensibles et respectueux de leur environnement de pratique, les exemples de gestion raisonnée montrent d’ailleurs notre engagement quant à la préservation des espèces rupestres (interdictions temporaires autour des aires de nidification du Pèlerin, Percnoptère et Bonelli à Casteljau et dans les Gorges de l'Ardèche par exemple) ;
- l'escalade est une activité en plein essor, qui touche un public large, notamment des jeunes locaux et des visiteurs extérieurs réguliers, et la pratique en milieu naturel développe la conscience éco-citoyenne.
Nous avons besoin de vous, de vos slogans et banderoles, ET DE VOTRE BON SENS CIVIQUE LE JOUR J !
Par avance, nous vous remercions de votre participation et/ou de partager ce mail à votre réseau.
Inutile de vous dire que le reste de la journée, des falaises orientées plein sud avec des voies majeures de tout style et tout niveau vous attendent, aux côtés de grimpeurs connaisseurs des lieux.
A bientôt !
C> Message du naturaliste Alain Ravayrol
Bonsoir à vous,
Cet appel à la mobilisation a déjà circulé dans les instances naturalistes ardéchoises et donc aussi vers le Plan national d'Action Aigle de bonelli dans lequel je suis impliqué. Je ne vous cache pas que de ce côté là il y en a qui trouvent que c'est techniquement insuffisant par rapport à l'enjeu. Mais ça ne m'intéresse pas vraiment à ce stade.
Ce qui m'ennuie le plus c'est le simple fait d'appeler à la mobilisation de la manière dont c'est fait. En tant qu'écolo on a affaire à ça de tous les côtés avec le monde agricole, le monde de la chasse, les aménageurs et parfois de façon violente avec même le soutien du ministre de l'intérieur et celui de la justice pour nous considérer comme des terroristes!!! Et que je sache ce sont plutôt des écolos qui meurent sur ce champ de bataille ou qui vont en garde à vue.
Cette façon de faire ridiculement simpliste est celle d'un lobby qui manipule ses troupes pour se faire passer comme victime avec une information tronquée et l'exclusive défense de ses intérêts, ici un peu riquiqui, mais qui seront facilement entendus par la majorité des défenseurs du vieux modèle économique du tourisme en particulier, largement représentés chez les élus.
Concrètement en ce qui me concerne, côté naturaliste, la démarche depuis plusieurs années concerne une espèce qui a failli disparaître et qui, à force d'emmerder les chasseurs ou EDF, commence à aller mieux et regagne du terrain. C'est quand même rare les bonnes nouvelles sur la biodiversité. Comme il y a un gros boulot de connaissance on sait que la tendance, après les Bouches du Rhône est de regagner un peu de terrain vers le nord du Gard et l’Ardèche en particulier et 1 à 2 couples de plus par an en moyenne depuis 10 ans en France. Par exemple en Ardèche on considère qu'historiquement il y a eu 8 à 10 couple (années 1950?), depuis plus de 30 ans il n'y en avait plus que 2, puis un troisième depuis quelques années (j'ai posé un GPS il y a 2 semaines sur la femelle de ce 3ème couple). Cette espèce a besoin d'un territoire de 60-120km², donc s'il y a un couple tous les 5 à 10 km c'est l'optimum. La question qui se pose à nous est simple : vont ils trouver des falaises où nicher? Pour ça on regarde là où on sait qu'il y a eu des nids il y a longtemps et on essaie de faire en sorte que leur retour soit possible. Sur le cirque de Gens il y avait un nid en aval et un autre au centre. Quelle serait la solution la plus sûre pour assurer le retour? précision de la LPO Ardèche au PNA "Pour préciser ce qui est indiqué au sujet de l'étude de la LPO, il s'agit en fait de 2 secteurs attenants dont l'ensemble forme une zone englobant un ancien site de nidification de l'Aigle de Bonelli sur l'extrémité aval du cirque. Cette position dans le cirque permet de réduire également la fréquentation du sentier en pied de falaise (les grimpeurs n'ont pas besoin de passer au pied de la zone de quiétude pour accéder à d'autres voies). Il s'agit donc d'un site vacant (site prioritaire du PNA AB). Il faut savoir qu'un autre ancien site de nidification se trouve au centre du cirque de Gens, qui aurait mérité l'équivalent en termes de zone et période de quiétude, mais ce qui avait été discuté lors des concertations, c'est que ce secteur reste ouvert à l'escalade sauf durant une période de quiétude de novembre à mars. Une interdiction paraissant moins pertinente puisque les grimpeurs continueraient à passer au pied de la falaise pour accéder aux voies des autres secteurs situés de chaque côté. C'était un compromis que nous avions accepté et qui paraissait acceptable pour le CTFFME07 à la suite d'une des visites."
En tout cas la décision prise me semble la moins dommageable pour l'escalade (à condition d'accepter l'idée d'espérer que cette espèce revienne) est celle qui a été retenue au travers de la décision prise localement. Pour ma part je féliciterai bien la collectivité qui a prise cette décision parce qu'en général on nous dit qu'il s'agisse d'une ZAC, d'une via ferrata ou d'une centrale photovoltaïque ou nucléaire que c'est pas les petits scarabées qui vont empêcher le développement qui est lui d'un intérêt majeur.
Il se trouve que dans cette option une soixantaine de voies sur les 314 du sites sont plutôt du haut niveau. Je ne serai pas loin de penser que si on fermait 60 voies pour les grimpeurs moyens ça mobiliserait moins. Mais là, s'attaquer au joujou de ceux qui posent en photo dans les magazines spécialisés qui vont s'empresser de relayer la mobilisation c'est un crime de lèse majesté.
Quoi qu'il en soit ce ne sont pas les batailles de chiffres qui me chagrinent bien que la démagogie qui consiste à dire qu'il n'y a que 20% des falaises qui sont équipées... C'est pas 15 de trop? J'en sais rien.
Je pensais que le monde de l'escalade avait suffisamment conscience de la dégradation globale de la situation. Je sais aussi qu'elle se considère comme relativement "propre" et peu impactante et c'est vrai si on compare à Tchernobyl. Mais le monde de l'escalade considère que tout ce qui a été équipé jusqu'à aujourd'hui est un patrimoine de l'escalade (pas que les coins en bois mais aussi les broches et les chaînes). Et donc sans s'être jamais ou si peu préoccupé des endroits où elle mettait les pieds sauf avec le regard du spot de grimpe que ça devenait (y a qu'à voir les termes utilisés (nettoyage, purge, etc.). Et aujourd'hui parce qu'on lui demande de restituer un peu de ce qu'elle a pris ( surtout si ça touche l'élite) c'est le feu dans les falaises !
Alain
PS : comme vous le savez vous pouvez partager. Et dispo pour en discuter quand vous voulez même si depuis 40 ans j'avale surtout des couleuvres...
D> Appel à ne pas manifester diffusé par des pratiquants
Nous n’irons pas manifester…
A toutes et à tous,
Nous sommes des grimpeuses et grimpeurs, qui souhaitons promouvoir une escalade sensible aux enjeux environnementaux et auto-réflexive sur ses pratiques comme sur ses valeurs. Aujourd’hui nous ne nous reconnaissons pas dans le discours porté par certains pratiquants et certaines institutions fédérales à la suite d’un arrêté municipal pris par la commune de Chauzon actant le déséquipement de deux secteurs du cirque de Gens en Ardèche. Ont été publiés tour un tour un court texte appelant à manifestation (et par la suite un tract) ainsi qu’un long communiqué du CT FFME 07. Ces textes ainsi que certains commentaires qui ont suivi nous ont interrogés à plus d’un titre.
Tout d’abord, certains discours produits ont oscillé entre une méconnaissance des enjeux naturalistes et une certaine mauvaise foi voire une volonté de manipulation. Un rappel des faits semble nécessaire sur les enjeux concernant l’aigle de Bonelli (la question plus générale de l’impact de l’escalade sur la biodiversité mériterait un plus long développement) ainsi que sur le processus ayant conduit à l’arrêté municipal.
L’aigle de Bonelli est une espèce menacée (classée « en danger ») dont la population a baissé tout au long du XXème siècle pour atteindre un niveau très critique en France puisqu’il n' y avait plus que 22 couples en 2002 (contre 80 en 1960). Il fait partie de ces espèces (avec le percnoptère ou l’aigle royal) dont les populations étaient particulièrement basses durant la période de fort développement des sites naturels d’escalade (entre 1980 et 2000). Les grimpeurs ont ainsi peu à peu occupé et aménagé des falaises qui avaient été abandonnées.
Aujourd’hui, grâce à des politiques de sauvegarde les populations remontent, mais cette dynamique se heurte de plus en plus à l’occupation des falaises par les grimpeurs. Or l’aigle de Bonelli fait partie des espèces les plus sensibles à la présence humaine, un simple dérangement pendant sa période de nidification pouvant entraîner un abandon du nid (et donc des œufs ou des poussins). Un des enjeux actuels consiste à anticiper l’installation de nouveaux couples par la mise en place de zones de quiétude comme cela se fait pour les sites déjà occupés.
Le cas du cirque de Gens se situe précisément dans cette configuration. La question d’un retour de l’aigle de Bonelli sur le site est discutée par les différents acteurs (FFME, services du département et de l’Etat, associations…) depuis les années 2018-2019 (et les projets de reconventionnement menés par la FFME) comme l’explique le communiqué du CT07, qui vient ainsi contredire les affirmations plutôt grossières des appels à manifestation. Dans le cadre de cette concertation, une étude, menée par des naturalistes a mis en évidence deux anciens nids qui constituent les meilleurs indices de l’intérêt du site pour un éventuel retour de l’aigle.
Il ressort des documents à disposition que les grimpeurs ne paraissent pas avoir tenu, lors de cette concertation une attitude pro-active et responsable (l’envoi d’une demande de conventionnement sans proposition de prise en compte des enjeux naturalistes est assez parlant). Dès lors la convocation d’une réunion puis le choix opéré par la mairie n'apparaît guère étonnant. A noter que cette décision, si elle est formellement municipale, a été soutenue et appuyée par la majorité des acteurs présents (département, services de l’Etat, associations), notamment parce qu’elle apparaît comme la plus efficace (nous ne nous leurrons pas, par expérience, sur l’efficacité d’une simple signalétique).
Plus généralement, en prenant une focale un peu plus politique, il nous semble que cet épisode vient souligner une certaine crise d’identité du monde de l’escalade (ou en tous cas d’une partie visible de ce monde), qui en vient à fonctionner de plus en plus comme un lobby. La crispation actuelle pour 60 voies (sur un site qui en compte plus de 300), outre une forme d’irrationalité, traduit surtout l’incapacité pour certains de prendre la mesure de la crise écologique actuelle et de la confronter à leur pratiques quotidiennes. Les justifications mobilisées dans les différents textes finissent finalement par nous faire passer pour un groupe de pression comme un autre, entre les chasseurs et la FNSEA. Les justifications économiques viennent appuyer un modèle de développement basé sur le tourisme (souvent de masse). Les justifications « patrimoniales », renvoient surtout à une vision passéiste et traditionaliste de l’activité qui est tout de même un peu triste (même si l’aspect émotionnel existe bien sûr). On pourrait leur répondre d’ailleurs que l’aigle est bien plus patrimonial et ancien sur ces sites mais il nous semble moins nauséabond de réfléchir aux enjeux maintenant plutôt que de faire un concours du « plus ancien » ou du « plus autochtone ». Enfin, les justifications écologiques sont soit dans l’ignorance (lorsque l’on mobilise par exemple les kilomètres de falaises disponibles) soit dans l’absurde lorsqu’il s’agit de l’éducation à l’environnement que peut amener la pratique. Quel exemple donnons-nous aux jeunes générations de grimpeurs en réagissant de cette manière à une initiative devant permettre une amélioration de la biodiversité?
Aujourd’hui nous souhaitons nous faire les porte-voix de tous ceux qui n’iront pas manifester dimanche, car ils ne se reconnaissent décidément pas dans ceux qui parlent fort, ceux qui sont aux commandes de certaines institutions fédérales censées nous représenter. Nous espérons aussi que dans le futur, nous puissions montrer une autre image de notre activité, responsable (car c’est la première condition pour pouvoir revendiquer une liberté), consciente de ses propres limites, sachant parler, proposer, se critiquer, reculer et décroitre aussi (la sobriété ce n’est pas juste quelques économies d’énergie un hiver)… Bref peut être une escalade qui se pense dans le monde et pas contre le monde.
Depuis les montagnes du Sud-Est français
Le CRECEREL (Comité de recherche et d’études critiques pour une escalade radicale, écologiste et libertaire)
E> Article de presse locale couvrant la manifestation
F> Recueil d'avis des membres du CDESI de l'Ardèche sur le projet d'arrêté d'interdiction
G> Publication de l'arrêté d'interdiction d'un secteur d'escalade du cirque de Gens
H> Organisation par le SNAPEC d'une réunion d'information et d'échanges avec :
- des membres du comité syndical
- des représentants de la FFCAM et du SNGM
- un spécialiste de l'aigle de Bonneli
- un juriste de France Nature Environnement
- des représentants du CT07 de la FFME
[L'enregistrement des interventions est accessible ici.]
I> Le SNGM, le SIM, la FFCAM et le SNAPEC prennent la décision de ne pas se joindre à la contestation de l'arrêté d'interdiction menée par la FFME.
J> Mémoire en défense de la commune de Chauzon
K> Mémoire en intervention volontaire de FNE AURA
L> Rejet du référé suspension par le tribunal.